Selon une étude publiée ce 8 avril, les Français sont de moins en moins enclins à lire, surtout les jeunes. David Lisnard et l’enseignante Lisa Kamen-Hirsig arguent que ni les livres récents ni leur enseignement ne donnent envie de lire. Une tribune parue dans Le Figaro

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Le 8 avril, le Centre national du livre (CNL) a publié le 8 avril son baromètre de la lecture 2025. Conclusion : les Français lisent de moins en moins. Et lorsqu’on se penche sur les résultats détaillés, le phénomène est encore plus flagrant chez les jeunes qui lisent très peu et sont 32 % à déclarer envoyer des messages en même temps qu’ils parcourent un livre… Même la bande dessinée marque le pas au profit des mangas et des romans sentimentaux. Bref, journalistes, responsables politiques, professeurs, parents, tout le monde le déplore : les jeunes ne lisent plus !

Glissons-nous quelques minutes dans la peau d’un jeune élève, en âge de découvrir les merveilles de la littérature et la joie de trouver des réponses hors de lui-même, dans la fréquentation d’amis moins transitoires et plus profonds que ses camarades d’écoles : les personnages et leurs auteurs. Imaginez que vous ayez six ou huit ans dans la France d’aujourd’hui. Vos fesses sont vissées sur une chaise six heures par jour, pendant que votre enseignant s’échine à vous extraire de votre ignorance en vous apprenant à lire. Croit-il ! Car lui-même n’a pas forcément compris que la méthode qu’il utilise n’est pas efficace. En effet, la méthode mixte – semi-globale donc – est encore dominante dans les écoles, si répandue que malgré vos efforts, vous rencontrez d’énormes difficultés à maîtriser les correspondances entre ce qui se dit et ce qui s’écrit. Vous êtes condamné à deviner les mots…

Chacune de vos lectures est suivie de tests, de QCM, de consignes exécutives comme : «Dessine dans le cadre le personnage tel qu’il est décrit page douze» ou encore de mots croisés, de travaux de groupes, d’exposés et de «rallyes». Rien n’est jamais gratuit. La lecture n’est pas un cadeau mais un exercice, une évaluation permanente. On vous demande même de lire des textes le plus rapidement possible. Vous savez bien, comme tous vos amis, que vous devez réussir le test de fluence, sinon vos parents seront convoqués pour leur signaler un problème. L’angoisse ! Alors la ponctuation et la respiration (qui donne aussi son sens à un texte) passent à la trappe.

Votre enseignant, se conformant aux listes publiées par l’Éducation nationale, soucieux de satisfaire sa hiérarchie plus que de vous instruire, vous demande de lire Monsieur Crocodile a beaucoup faim, Mon prof est un troll ou Cent Culottes et sans papier. Il vous fait apprendre des poèmes mièvres, qui ne riment pas. C’est un principe : la rime, c’est classique, le classicisme est une violence de classe. Les poèmes retenus sont surréalistes, parfois écrits par des enseignants et publiés sur leurs blogs, parlent d’oiseaux qui pondent des œufs tout blancs à l’infini ou des valeurs olympiques. Ils n’évoquent jamais la mythologie, les contes, les fables ou la grande littérature du 19e siècle parce qu’elle n’est pas assez engagée à ses yeux. Il s’est convaincu que tout cela était violent, sexiste et qu’une langue recherchée favorisait le fils de bourgeois ayant appris à parler avec ses parents. C’est l’inspecteur qui l’a dit.

Lorsque vos parents apprenaient par cœur Ronsard ou lisaient La Bergère et le ramoneur,ils intégraient le sujet inversé, le passé simple, le subjonctif et des centaines de mots précis ayant leur place dans une pensée articulée. On vous prive de cette richesse et de cet héritage au nom de la sacro-sainte lutte contre les inégalités. Vous faites les frais des délires idéologiques. On vous emmène dans des bibliothèques où se succèdent des animations : semaine du polar, de la littérature scandinave, des écrivaines ou des mots en ouille. À aucun moment on ne cultive chez vous le goût du silence, de l’intériorité, le plaisir de la solitude. La lecture aussi est intégrée au «vivre-ensemble». Il n’y a plus de refuge, plus d’ermitage… Quelle plaie !

Avant votre naissance, une ministre progressiste a décrété que chaque classe de France serait pourvue d’écrans. Il y en a partout au motif qu’il faut lutter contre la fracture numérique. Lutter, toujours lutter : ça donne l’impression d’être concerné préoccupé par la misère du monde… Peu nombreux sont ceux qui ont relevé que c’étaient justement les élèves des familles modestes qui passaient le plus de temps sur écrans et qu’il n’était pas nécessaire de leur en imposer à l’école.

Certains professeurs pensent que «chancelant» est de la famille de chance ou de chanteur et commettent des erreurs d’orthographe un peu partout.. Vous le voyez, vous le savez car malgré tout, votre intelligence résiste ! Vous comprenez qu’un nombre croissant d’entre eux a été recruté malgré leur inculture, parce que personne ne veut faire ce métier. Vous n’avez aucune envie de leur ressembler. Terminée l’exemplarité.

Il y a quelques jours, votre école Jean de La Fontaine a été renommée Boris Vian. Le collège d’à côté s’appelle Angela Davis. Tout se vaut. Le beau, le vrai, le bien ne sont plus que des appréciations relatives. Vous vous glissez dans cette modernité. À quoi bon résister, seul contre ce relativisme et ce culte du «progrès» ? L’école vous impose «un quart d’heure de lecture par jour» entre 13h30 et 13h45. C’est à peu près la même corvée que se laver les dents ou aider maman à mettre la table. La maîtresse vous observe du coin de l’œil : alors vous tournez les pages sans faire attention.

On vous assure que lire Harry Potter est formidable, que «ça peut mener à la littérature». On harrypotterise votre classe, vos cahiers, votre cerveau. Après quelques années de ce régime, vous n’êtes plus capable de supporter une description de plus de quatre lignes, la profondeur psychologique des personnages ne vous intéresse pas. Le style non plus. Vous finissez par regarder les films et acheter la littérature pour ados du même tonneau : des jeunes filles anorexiques ont des superpouvoirs et ça finit bien.

On vous enseigne très peu et très mal la grammaire, le vocabulaire. Les mots ne vous semblent pas toujours à leur place dans les phrases que vous lisez. Il suffit qu’un sujet soit inversé pour que vous le preniez pour un complément d’objet direct. Mais qui est là pour vous détromper ? Vous ne le savez pas mais en quarante ans, les élèves ont perdu environ 600 heures d’enseignement de la langue française entre le CP et la seconde…

Ah oui, j’oubliais : vos parents, vos professeurs, les surveillants, tout le monde est vissé sur son téléphone à longueur de temps. Vous en concluez logiquement – mais qui ne le ferait pas ? – que c’est cela qui est désirable. Car ces gens-là, les adultes, sont libres, vous le savez. Et que font-ils de cette liberté ? En profitent-ils pour se jeter dans les bras de Maupassant, de Milan Kundera ou de Pierre Michon ? Entretiennent-ils un journal ? Non non, ils jouent à Candy Crush, font défiler des vidéos «sur Instagram».

Pourtant, vous sentez confusément qu’on vous prive d’un bonheur, «qu’il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. » (Marcel Proust. Sur la lecture) Vous ne pouvez pas savoir que les sangs mêlés d’Achille, de Cosette et du Petit Chose coulent dans vos veines, que vous pouvez pleurer avec Cadichon, Perrette ou Gervaise, mais ils vous manquent. Après cette petite expérience de transfuge corporel, vous soupirerez peut-être encore que «les jeunes ne lisent plus». Mais comment pourraient-ils apprécier la lecture alors que tout conspire à les en dégoûter ? Apprenons leur déjà à déchiffrer correctement leur langue, à l’aide de méthodes purement syllabiques. Cessons d’occuper le temps scolaire avec des activités ludiques et de faire de l’école un lieu de combat contre les inégalités : édifions nos enfants par la littérature classique. Exigeons que les enseignants y soient formés, ainsi qu’à la grammaire et à l’histoire de leur langue.

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