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Retrouvez le grand entretien de David Lisnard pour le magazine La Tribune.


«Je m’oppose à tout impôt local sur le revenu»

EXCLUSIF Le 106ª Congrès des maires souvre ce mardi porte de Versailles à Paris. Le président (LR) de l’association des maires de France alerte sur l’état des finances. Pour la troisième année consécutive, le président de la République Emmanuel Macron ne viendra pas clore le Congrès des maires, qui rassemble jusqu’à 10 000 édiles. À sa place, le Premier ministre Michel Barnier devra rassurer des élus locaux, très inquiets sur leur avenir.

LA TRIBUNE DIMANCHE — De Bordeaux à Besançon, les maires affichent leur colère sur leur façade. Jugez-vous ces méthodes efficaces et légitimes ?

DAVID LISNARD — Je suis pour la liberté d’expression, y compris celle des maires.
Quant à l’efficacité de cette démarche, elle dépendra de la réponse de l’État qui, je l’espère, saura être à l’écoute de cette mobilisation.

En tant que maire de Cannes, vous avez annoncé le report de la dernière phase de réaménagement de la Croisette pour cause de prélèvement de l’État, tel que prévu dans le PLF. Est-ce une petite musique qui pourrait se faire entendredans d’autres communes ?

Cela risque surtout d’être une grosse symphonie. Les prélèvements annoncés représentent en moyenne plus de 20 % des capacités d’autofinancement des mairies. Le report des travaux est donc motivé par ce contexte national mais aussi par un facteur local, les tarifs des entreprises étant plus élevés que prévus. Il y a dix ans, j’ai pris l’engagement devant les citoyens de baisser la dette chaque année et de faire preuve d’une totale sobriété fiscale. Nous le respectons scrupuleusement.
Aujourd’hui, nous avons dans la strate la taxe foncière la plus basse de France avec Boulogne-Billancourt. Notre capacité d’autofinancement a été multipliée par huit malgré un taux de pauvreté de 21 %. On ne peut pas être maître de son destin si on ne tient pas les comptes.

Quid de la suppression de la taxe d’habitation ?

Dès l’annonce du candidat Macron en 2007, l’AMF avait annoncé que, sans remise en question globale de la fiscalité, cela impliquerait soit des prélèvements ailleurs, soit de la dette supérieure de l’État. Aujourd’hui, nous sommes tous convaincus qu’il faut rétablir les comptes publics, et constatons que plus l’État prélève, moins il a les moyens pour son action régalienne. Certes, il existe des collectivités mal gérées. Ce n’est pas pour autant qu’il faut mettre tout le monde sous tutelle. Le total de la dette des collectivités représente 8,9 % de la richesse nationale – contre 9,2 % il y a trente ans -, alors que nous avons toujours plus de charges transférées par l’État : 19 milliards d’euros pour l’entretien des digues, la moitié du ferroviaire, l’accueil des enfants handicapés, la petite enfance, La Poste… Quand la dette de l’État est multipliée par trois, celle des collectivités est stable et faible, et c’est une dette d’investissement, remboursée en capital et en intérêt. Nous restons le pays de l’OCDE où le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé, où il y a le plus de dépenses publiques, et où la part des prélèvements et des dépenses des collectivités dans ce total est la plus faible.

Comment inverser la tendance ?

Le centralisme ne fonctionne pas. Il entrave l’action et génère des déperditions d’argent. Les contribuables, les usagers et les agents du service public sont pénalisés. Il est temps de raisonner en performance et en résultat.

Il faut changer la culture du service public… 

Si vous voulez réduire la dépense, il faut baisser les charges qui nous sont imposées.
Le coût des normes supplémentaires sur les collectivités est de l’ordre de 4,1 milliards d’euros sur deux ans, selon le Conseil national d’évaluation des normes [CNEN]. Par exemple, l’obligation des thermostats dans les bâtiments publics va coûter 1,1 milliard d’euros. Sans parler des organes de l’État qui se contredisent entre eux et qui induisent des dépenses d’études sans fin.

Faut-il restaurer la taxe d’habitation ?

Je suis contre le retour à la taxe d’habitation telle qu’elle était tout comme je m’oppose à tout impôt local sur le revenu. Cela se ferait encore au détriment des classes moyennes et des propriétaires. Le débat sur une contribution locale universelle devra avoir lieu, mais pas au moment où l’État « affamé » de recettes vote son budget. Et commençons par rendre plus performants les services publics.

Comment ?

En instaurant partout de la liberté et de la responsabilité individuelle. Avec mon parti Nouvelle Énergie, c’est au cœur du projet que nous élaborons et qui repose sur une grande clarification des missions de chaque administration. Le lien entre l’impôt et la dépense doit aussi être clair, pour que les habitants ne se comportent pas en consommateurs de service public mais en coresponsables. Il faut désintoxiquer la classe politique et la société de l’intervention publique.

Concrètement ?

Pour chaque dépense, se poser trois questions : est-ce qu’on peut faire moins cher, est-ce qu’on fait faire par le secteur concurrentiel, est-ce qu’il faut faire ou supprimer ? Il n’y a pas de fatalité au délitement des services publics. Le PLF 2025 relève de la même mécanique que celle qui nous a emmenés hier dans le mur avec les mêmes mesures. Dès l’hiver 2020-2021, j’ai dit qu’il fallait sortir du quoi qu’il en coûte.
Prenons l’exemple des aides aux entreprises. À titre personnel, je considère que les crédits d’impôt, les exonérations de charges et les subventions sont inutilement consommateurs d’argent public. Supprimons tout cela et réduisons d’autant les prélèvements aux entreprises. Cela supprimerait des procédures bureaucratiques et éviterait le capitalisme de connivence. Les élus sont entravés dans leur action par l’accroissement des contraintes bureaucratiques.

Au congrès la semaine prochaine, vous organisez avec les ministres Daragon et Retailleau un « Beauvau des polices municipales »Pourquoi ?

Les effectifs des polices municipales ont crû de 36 % depuis dix ans. Par nécessité. La nuit, par exemple, il n’y a quasiment plus de police nationale. Gérald Darmanin disait : « Il faut mettre des caméras », mais c’est un investissement matériel des communes et il nécessite l’embauche d’agents derrière les écrans. Les agressions sur la voie publique ont augmenté de 63 % depuis sept ans. Pis, les agressions à l’arme blanche sont quasi quotidiennes et en croissance exponentielle. Le régalien doit être assuré par l’État, et parallèlement il faut tenir compte des réalités en milieu urbain en donnant la possibilité aux polices municipales de faire des contrôlesd’identité, de lutter en flagrance contre la délinquance du quotidien, les voitures volées, les personnes dangereuses, etc.

Le maire n’est-il pas déjà officier de police judiciaire ?

En réalité non, ou que sur un domaine très restreint qui tient à la salubrité et à l’urbanisme. Ainsi, la récente loi qui autorisait la police municipale à dresser des PV en cas de consommation de stupéfiants a vu cette disposition annulée par le Conseil constitutionnel.

Vous a-t-il promis quelque chose pour la sécurité des élus ?

Depuis deux ans, les agressions contre les élus ont bondi de 50 %. Nous avons obtenu par la loi du 21 mars dernier que cela soit considéré circonstance aggravante, comme pour les autres dépositaires d’une autorité publique. Mais, le problème en France est dans l’effectivité des poursuites.

Ces violences sont-elles responsables des démissions croissantes des maires ?

C’est le deuxième ou troisième motif de démission. Si nous assistons à 41 démissions par mois – le double par rapport à la précédente décennie -, c’est d’abord en raison des difficultés croissantes à agir. Les élus sont entravés dans leur action par l’accroissement des contraintes bureaucratiques.

Ces procédures et les coupes dans vos budgets permettront-elles de tenir malgré tout l’objectif de neutralité carbone en 2050 ?

Dépenser plus et baisser les dépenses… Cela fait partie de ces injonctions contradictoires, à l’image de la politique de zéro artificialisation nette [ZAN] des sols qui contrevient à la construction de logements. On pourrait trouver quelques moyens en réduisant le nombre d’organismes publics qui interviennent dans le domaine environnemental… L’Institut de l’économie pour le climat [I4CE], qui fait un travail crédible et sérieux, nous dit que, de 2020 à aujourd’hui, les collectivités sont passées de 3,5 à 9 milliards d’euros d’investissements par an pour atteindre cette trajectoire et que désormais il faudrait passer à 19 milliards d’euros par an. Aujourd’hui, le gouvernement est en apnée politique et budgétaire.

Au vu de vos exigences et des choix faits par le gouvernement, qui compte des macronistes de la première heure, êtes-vous à l’aise dans votre soutien à Michel Barnier ?

J’ai ma liberté d’expression, qui a d’ailleurs toujours prévalu à l’AMF. Aujourd’hui, le gouvernement est en apnée politique et budgétaire. Et il est certain que le spectacle à l’Assemblée nationale peut donner envie de soutenir le gouvernement Barnier. Cela étant, si on veut éviter les extrêmes et redresser le pays, il va falloir une radicalité dans l’action, comme l’a fait Raymond Poincaré durant l’entre-deux-guerres, comme aussi le général de Gaulle en 1958. C’est le sens de ma proposition libérale, fondée sur la décentralisation et la subsidiarité.

Comment jugez-vous les premiers mois du Premier ministre ?

C’est un homme soucieux du dialogue et du respect des autres. C’est très appréciable, ça nous change. Maintenant, au moment où je vous réponds, je ne désespère pas de faire évoluer ce projet de budget… Comme disait Pierre Mendès France, « il ne faut jamais sacrifier l’avenir au présent ». Or, un budget qui, aujourd’hui, se fonde essentiellement sur des prélèvements supplémentaires qui vont porter atteinte à la compétitivité du pays et à l’investissement, cela équivaut à sacrifier un avenir proche. Il faudra donc changer de politique.

À l’Assemblée, l’exécutif s’appuie sur un « socle commun » qui associe votre famille politique, Les Républicains, à Renaissance, Horizons et le MoDem. Après avoir dénoncé le bilan d’Emmanuel Macron, voilà la droite contrainte de travailler avec ceux qui en sont comptables…

Le socle s’avère plutôt mouvant… J’avais été le premier à dire, au lendemain du second tour des élections législatives, qu’il ne fallait pas participer aux gouvernements précédents. Pour autant, à l’issue de ce scrutin, la donne a changé. Il n’y avait plus de majorité et donc d’opposition en attendant la nomination d’un gouvernement. Je pense que Michel Barnier a été un bon choix pour Matignon et on ne peut pas lui reprocher d’essayer de régler les problèmes du pays. Cela implique de résister à Bercy. Or, pour l’instant, c’est le ministère des Finances qui a la main. Quand j’entends des ministres comme Jean-Louis Thiériot, Laurence Garnier ou Sophie Primas [adhérentes de Nouvelle Énergie], je m’y retrouve, mais nous sommes au bout d’un système. Je comprends que dans l’urgence il faille le rafistoler, mais il faut passer à autre chose parce que, après quarante ans de social-étatisme, ce système ne fonctionne plus.

Lorsque Laurent Wauquiez, chef des députés LR, déclare sur TF1 que le gouvernement revalorisera en partie les retraites au 1er janvier, contrairement à ce qui avait été annoncé initialement, n’est-ce pas perpétuer ce que vous dénoncez ?

Il aurait d’abord fallu appliquer immédiatement la réforme de l’assurance chômage du précédent gouvernement. C’est une erreur de l’avoir interrompue. Sur les retraites, il est plus que temps de se poser la question du coût de l’avenir du système. Je suis de moins en moins seul à l’écrire et à le dénoncer, mais nous ne pouvons plus porter un système par répartition qui est, de fait, une pyramide de Ponzi qui va planter les cotisants actuels et les futures générations. Il faut garder une part de répartition uniquement pour le minimum vieillesse et, à côté, instaurer un système de capitalisation obligatoire. C’est la seule façon de garder, à terme, un niveau décent de retraite, tout en assainissant nos comptes publics et en recapitalisant notre économie. Depuis 1958, 34 % de l’augmentation de la dette publique est liée aux retraites.

Votre nom a brièvement circulé pour Matignon. Qu’auriez-vous fait différemment de Michel Barnier ?

Lorsqu’on s’est parlé, j’ai dit à Emmanuel Macron la manière dont je voyais la possibilité de gouverner le pays. L’essentiel dans ma vision est de permettre à chaque Français de disposer de la propriété d’un capital individuel d’instruction et financier. C’est ainsi qu’on redressera le pays. Je crois que beaucoup de Français ont compris que notre État providence était à l’agonie, qu’on ne peut plus accepter le délitement régalien, qu’il nous faudrait une immigration strictement réduite aux besoins de travail… Je pense donc qu’on peut davantage s’appuyer sur l’opinion. Je suis favorable à la pratique du référendum. J’en ai trois ou quatre en tête, sur lesquels nous avions travaillé avec François Fillon, dont un sur l’immigration. Je l’ai évoqué avec le président de la République. Sauf que cela implique de forcer la main du Conseil constitutionnel, qui veut bloquer le référendum. Le général de Gaulle a su le faire en 1962. Je porterai ma propre voix pour préparer la présidentielle de 2027 et pour apporter mes idées.

Laurent Wauquiez a été chargé de la « refondation » des Républicains, votre parti, et se prépare à en récupérer la présidence après le départ d’Éric Ciotti. Est-ce que vous le soutiendrez ?

Désormais, quel que soit le cas de figure, je porterai ma propre voix pour préparer la présidentielle de 2027 et pour apporter mes idées. Nous verrons qui, demain, pourra être leader et s’imposer dans les intentions de vote.

Serez-vous candidat à la présidence de LR ?

J’attends de voir le calendrier, ce qui sera proposé par les uns et les autres, et les conditions de l’élection. On peut être plein de bonnes intentions et d’esprit constructif sans être forcément naïf.

Laurent Wauquiez est-il le mieux placé pour conduire la droite en 2027 ?

Il en a des dispositions. Sauf qu’on constate aujourd’hui une absence de leadership et une parcellisation, un éclatement de l’offre de droite. Il faudra donc, à terme, que l’opinion se cristallise autour d’un candidat ou d’une candidate. Pour cristalliser, gagner les élections puis bien diriger le pays, il faut d’abord renforcer notre corpus idéologique, et non chercher à plaire à telle ou telle clientèle électorale. Ce que je propose pour nourrir ce corpus, à travers Nouvelle Énergie, est assez radical et puissant.

Une primaire aurait-elle du sens sans l’inclusion d’autres candidatures issues du centre droit, comme celle d’Édouard Philippe ?

C’est comme la phrase de Churchill sur la démocratie : la primaire est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. Le premier tour de l’élection présidentielle ne peut plus être notre primaire, comme c’était le cas avant les années 2000. Avant, on pouvait se permettre d’avoir un Barre et un Chirac sur la ligne de départ, ou un Chirac et un Balladur. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. François Fillon n’a pas perdu en 2017 à cause de la primaire. Il a quand même fait 20 % au premier tour. Je ne suis pas un fan de la primaire, mais pour l’instant il n’y a aucun candidat qui émerge. Si rien n’évolue, il faudra donc un système ouvert qui permette de clarifier et légitimer l’offre.

Un éclatement des candidatures de droite et du centre droit ne favorise-t-il pas à coup sûr une victoire du Rassemblement national, qu’il soit représenté par Marine Le Pen ou par Jordan Bardella ?

Vous me pardonnerez d’être encore plus effrayé par l’hypothèse Jean-Luc Mélenchon ! Tout est possible. Après, quand vous regardez à travers l’Europe, les cristallisations sont beaucoup plus rapides qu’avant. Ce qu’on croyait irrémédiable, à savoir l’arrivée au pouvoir des populismes, même si je n’aime pas le terme, n’a finalement pas été inéluctable dans certains pays européens.Le « libre-échange bashing » est une erreur monumentale, mais il faut que l’Europe cesse d’être naïve et d’accepter des accords lorsqu’ils sont déséquilibrés.

Si le RN avait obtenu, en juillet, une majorité suffisamment large pour gouverner, auriez-vous accepté un poste ministériel ?

Non, car je ne suis pas socialiste. Jordan Bardella a changé un peu d’approche, mais ce n’est pas ce qu’on voit à l’Assemblée nationale, où le RN reste assez proche du Nouveau Front populaire en matière de frénésie fiscale. Il est étatiste et centralisateur. Ce n’est pas mon approche.

L’ex-président du Conseil des ministres italien Enrico Letta a déclaré que le retour de Donald Trump aiderait l’Union européenne à « devenir adulte ». Est-ce que vous partagez son point de vue ?

Trump ou pas Trump, il faut que l’Europe raisonne en puissance. Il y a une constance dans la politique américaine depuis des années. L’Inflation Reduction Act adopté sous l’administration Biden, donc démocrate, a été un acte de guerre économique colossal, contre la Chine mais aussi contre l’UE. Cela veut dire que, indépendamment de la personnalité de Donald Trump, les États-Unis d’Amérique défendent avant tout leurs intérêts. Le protectionnisme, c’est comme la guerre : ça peut être nécessaire, mais dans la durée c’est toujours un échec. À terme, ça ne peut pas être un état permanent. Ce qui a toujours accompagné la prospérité collective et la richesse des nations, c’est le libre-échange. En revanche, ce libre-échange ne consiste pas à accepter les distorsions de concurrence. Il faut exiger la réciprocité, qui est la base du commerce, mais il faut de l’échange, car il aboutit à la concurrence, qui crée de la performance et de l’enrichissement. Le « libre-échange bashing » est une erreur monumentale, mais il faut que l’Europe cesse d’être naïve et d’accepter des accords lorsqu’ils sont déséquilibrés. C’est le rôle de la diplomatie. On est capable d’avoir un libre-échange équilibré

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